Mercredi 21 septembre 2011, le journal Libération a fait paraître un article sur les emprunts dits « toxiques » contractés par 5'500 communes françaises, entre 1995 et 2009.
De nombreux autres articles ont suivi, dans tous les médias…
Vous trouverez ci-dessous une synthèse des nombreux articles lus à ce sujet dans Libération, le Figaro, le Parisien, le Monde… (voir liens).
Bien que le conditionnel soit employé, il faut cependant noter que tous les autres médias ont repris cette information, la considérant comme fiable. La Cour des Comptes ayant d’ailleurs évalué, en juillet dernier, (dans un rapport « La gestion de la dette publique locale ») entre 30 et 35 milliards d'euros le montant de ces prêts structurés souscrits par les collectivités, dont 10 à 12 milliards seraient « potentiellement risqués »…
Donc, Libération se serait procuré un fichier confidentiel de la banque Dexia Crédit Local (DCL)- la 1ère banque des communes - qui recense les 5 500 collectivités locales et établissements publics ayant souscrit les fameux «prêts toxiques» entre 1995 et 2009. Ce listing, publié en intégralité sur leur site, montre que tout le monde est concerné : collectivités de droite comme de gauche, grandes communautés urbaines comme petites villes…
Et Prévessin-Moëns ne ferait pas exception.
En effet, il y est affirmé que notre commune aurait souscrit en 2006 (2ème mandat de notre maire), un emprunt d’une durée de 15 ans auprès de Dexia, d’un montant de 824’000€, dont le surcoût (=intérêts) estimé en 2009 atteignait déjà 52’000€ !
Et le plus fort de la crise n’était pas encore passé par là…
Explications :
Au milieu des années 90, Dexia constate que les taux d’intérêts sont bas, que la concurrence diminue ses marges et que les collectivités sont réticentes à augmenter leur fiscalité. Elle a alors l’idée de leur proposer une nouvelle sorte de prêts, dits « structurés », qui offrent un taux d’intérêt très bas les 1ères années.
Le mécanisme de ces emprunts toxiques est simple : monter un emprunt ayant une part fixe et une part à taux variable qui est indexée sur tout et n’importe quoi, comme, par exemple, sur la parité euro-franc suisse, le cours du blé…
(A lire : le cas de la commune de Plaisir :
En fait, ces prêts sont un piège mortel, car les économies effectuées les 1ères années grâce à des taux bas, sont contrebalancées par un risque énorme.
3 ou 4 ans après le début du prêt, débute la phase dite « structurée », et là, on rentre dans un monde surréaliste, où tout événement mondial (Fukushima, hausse du pétrole, crash boursier…) peut avoir des répercussions économiques.
Ces crédits toxiques sont considérés comme les + spéculatifs et donc, les + risqués : sur une échelle de 1 à 5, ces emprunts présentent un degré de risque de 5. Ils reposent en effet sur des taux d’intérêt variables, indexés sur des valeurs extrêmement volatiles, comme les variations de change, les écarts de taux d’intérêt, ou encore le baril de pétrole…
Ces valeurs peuvent baisser ou augmenter dans des proportions importantes et absolument impossibles à maîtriser.
« Exemple, avec le « Dualys optimisé », un type de prêt structuré refilé en 2008 au Conseil général de Seine-Saint-Denis. Chaque année, au 1er décembre, et jusqu'en 2026, son taux pour l'année est calculé en fonction des cours relatifs de l'euro, du dollar et du franc suisse suivant une formule, détaillée sur dix lignes, qui fait frémir. Extrait: «Si l'écart entre le cours de change de l'euro en francs suisses et le cours de change de l'euro en dollar est strictement inférieur à 0, le taux d'intérêt est égal à 3,27% plus 25% fois la différence entre le cours de change de l'euro en dollar et le cours de change de l'euro en francs suisses ». Comprenne qui pourra ! » (Libération)
Or, malgré la complexité de ces prêts, de nombreux élus se sont « jetés » dessus !
Dexia n’est pas la seule banque à a voir accordé aux collectivités territoriales des prêts devenus toxiques : la Caisse d’Epargne, le Crédit Agricole et la Société Générale auraient elles aussi été très présentes sur le marché…
Si ces prêts structurés sont un risque énorme pour celles et ceux qui les contractent, ils le sont également pour les banques qui les commercialisent. Celles-ci se sont couvertes auprès d’institutions spécialisées, mais cela les empêche ensuite de renégocier le prêt par la suite, à moins que les communes n’acceptent de verser de très lourdes pénalités « en compensation » : les communes sont piégées.
En résumé, les banques gagnent toujours, et les communes perdent !
Plusieurs communes ont eu également recours à ces prêts toxiques pour racheter des emprunts classiques en cours, afin de bénéficier de taux + bas. En faisant ainsi diminuer les intérêts à payer et donc leur dette, elles évitaient d’augmenter les impôts avant des élections. Serait-ce le cas de notre commune ?
(Voir le cas de Plaisir :
Certaines collectivités ont porté plainte contre Dexia, d’autres tentent de diminuer leur risque en jouant sur les marchés, la plupart commencent par diminuer leurs investissements, avant de devoir augmenter les impôts (impôts qui viennent justement d’être augmentés à Prévessin-Moëns = +12,08% de la taxe foncière).
Les collectivités n’ont pas le droit de présenter des budgets déséquilibrés = c’est à dire, que les dépenses doivent être égales aux recettes. Si certaines dépenses (ex : intérêts des emprunts) augmentent, on essaye d’en diminuer d’autres (ex : travaux), et si ça ne suffit pas, on augmente les recettes (les impôts) pour compenser.
Qu’en dit la Cour des Comptes ?
Extraits :
« Les collectivités locales, leurs satellites et les hôpitaux disposent d'une grande liberté pour emprunter et choisir leur mode d'indexation. Traditionnellement, elles le font à taux fixe ou à taux variable.
Dans la première hypothèse, la collectivité locale est assurée de connaître sa charge d’intérêts. Elle est protégée contre le risque de hausse des taux d’intérêt, mais ne pourra pas bénéficier de leur baisse.
Dans la seconde, le taux d’intérêt est calculé par référence à un indice auquel s’ajoute la marge de la banque. L’emprunteur ne connaît pas à l’avance le taux d’intérêt. Il est révisé périodiquement et automatiquement en fonction de l’évolution de l’indice de référence retenu. L’emprunteur supporte donc le risque de hausse des taux mais bénéficie en contrepartie de ses baisses.
Depuis quelques années, sont apparus des produits encore plus sophistiqués, appelés « produits structurés ». Ces emprunts sont facilement reconnaissables puisque la clause qui définit le taux d’intérêt applicable comprend alors nécessairement un ou plusieurs «si». Ils offrent à l'emprunteur, dans les premières années du contrat, un taux inférieur au marché, voire dans certains cas de 0 %.
Les emprunts structurés sont opaques et d’un intérêt financier discutable.
Si de tels montages permettent d’afficher à court terme un endettement particulièrement peu coûteux, et une amélioration de l'autofinancement de la collectivité, ils méconnaissent le prix du temps.
Ils font aussi courir un risque de taux plus élevé, l'échéance de la dette étant éloignée.
De tels choix révèlent la réalisation d’opérations consistant à parier avec un banquier sur l’évolution d’indices ou de valeurs économiques sans lien avec l’activité ou le financement de l’emprunteur.
Ils s’apparentent à une démarche spéculative et de ce fait, sont critiquables.
Le principe de libre administration des collectivités territoriales ne fait pas obstacle à ce que les placements financiers des collectivités et établissements publics locaux soient strictement réglementés par la loi, garante de l’intérêt général, qui interdit toute prise de risque et n’autorise que l’achat de titres garantis par l’Etat. »
Et qu’en dit Dexia ?
Définition d’un prêt structuré d’après Dexia :
« Le prêt structuré
Le taux d’intérêt est défini par une formule qui peut inclure un mécanisme optionnel. Certaines formules de taux offrent une couverture, moyennant le paiement d’une prime ou d’une sur-côte de taux. D’autres formules offrent des conditions de taux décotés, en contrepartie de l’acceptation par la collectivité locale d’un risque de dégradation lié à l’évolution de certains indices. »
Concernant l’article de Libération, elle en réfute bien entendu les accusations.
Selon cette banque, seules les collectivités territoriales ayant des compétences pour suivre ces produits complexes auraient contracté ces emprunts, soit seulement 4'000 « clients » .
Elle ajoute que, grâce à ces prêts structurés, les collectivités ont économisé 500 millions d’euros (sur les 35 milliards d’euros de prêts structurés, c’est très peu !) entre 2002 et 2008, par rapport à des crédits classiques grâce aux taux bas, et doivent donc aussi être prêtes à accepter les contraintes de la hausse…
En bref, à cause de l’irresponsabilité des banques et des élus, les collectivités locales (villes, régions, départements, communautés de communes…) et les établissements publics locaux (hôpitaux, syndicats d’économie mixte…) ont dans leurs comptes des stocks d’emprunts toxiques, qui risquent de les couler totalement. Et du même coup, ce sont des dizaines de services publics qui risquent d’être affectés : crèches, écoles, collèges, voirie, ramassage des ordures… sont financés par les collectivités territoriales.
Cela veut dire que ce sont les contribuables qui seront les grands perdants de ce jeu toxique.
Mais l’addition pourrait encore grimper avec des prêts qui courent jusqu’en 2025 ou 2030. Les emprunts toxiques n’ont pas fini de pourrir la vie des collectivités. Et des contribuables, sur qui pèse une double menace : l’augmentation des impôts locaux et un déficit de services publics.
Philippe Ries, de Mediapart (ancien chef du Département Economique de l’AFP) conclue un article en estimant que c’est « une crise de l’ignorance, mais aussi de l’arrogance ».
Arrogance de nos élus, qui s’estiment plus malins que les autres, sûrement, mais surtout incompétence totale.
Vincent Giret de Libération va même plus loin. Selon lui, les communes « infectées » par ces emprunts toxiques ont (eu) à faire à « des élus novices, irresponsables et mégalos (qui) ont roulé à guichets ouverts, empruntant au-delà du raisonnable, sans se soucier ni des risques ni des générations futures ».
Pour en revenir à notre commune, et selon les informations diffusées par Libération, le prêt consenti par Dexia en 2006 courrait jusqu’en 2021.
Ces informations sont-elles exactes ?
Si prêt(s) toxique(s) il y a, combien sont-ils ? Quelles en sont réellement les conditions ? Sur quoi sont indexés les taux variables ? Où en est le surcoût aujourd’hui ?
Alors, nos élus ont-ils fait preuve de bon sens en ne souscrivant que des emprunts classiques ou sans risques, ou au contraire, d’irresponsabilité ?
Dans un souci de transparence, il serait plus que souhaitable que M. Laurenson fournisse très rapidement un état détaillé de la dette de Prévessin-Moëns, soit tous les documents relatifs aux emprunts souscrits par notre commune (pour environ de 5 millions d’euros), stipulant leurs durées, leurs structures, les taux actuels…
Ce que suggère également la Cour des Comptes, dans son rapport :
« Dans un contexte où le stock de dette des collectivités et établissements publics locaux et son coût vont probablement augmenter, conjointement avec la dégradation prévisible de leur situation financière, il paraît nécessaire qu’un recensement de la dette structurée des collectivités et établissements publics locaux soit mis en place, dans le prolongement des travaux entrepris par la direction générale.des finances publiques.»
Comment prévenir cette situation à l’avenir ?
Sans doute en suivant les recommandations de la Cour des Comptes :
- « L’autonomie généralement accordée aux exécutifs dans les décisions relatives à la gestion de la dette devrait être contrebalancée par une surveillance accrue de la part des assemblées délibérantes – qui doivent garder la maîtrise de la stratégie de gestion de la dette – et par un renforcement des règles de transparence, tant en ce qui concerne l’information comptable que les conditions de choix en matière d’emprunt.
- Les dispositions du code général des collectivités territoriales imposent l’organisation, au sein des assemblées délibérantes des collectivités et établissements publics locaux, d’un débat annuel sur les orientations générales du budget et sur les engagements pluriannuels envisagés. Il apparaît souhaitable que ce débat soit en partie consacré à la gestion de la dette.
- Il serait donc souhaitable que la loi soit complétée de telle sorte que, à l’instar de la pratique déjà mise en œuvre dans certaines collectivités territoriales, un rapport approfondi soit obligatoirement présenté chaque année par l’exécutif à son assemblée délibérante, au cours duquel seraient débattues les orientations retenues pour la gestion de la dette financière.
Ce document devrait théoriquement permettre d’isoler, dans l’encours d’une collectivité, les emprunts structurés dont l’indexation initialement bonifiée dépend par la suite de la réalisation de conditions sur lesquelles la collectivité n’a pas de prise.
Or, les investigations des chambres régionales et territoriales des comptes révèlent des lacunes importantes dans la mise en œuvre de cette obligation de transparence.
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